« C’est ce que nous pensons déjà connaître qui nous empêche souvent d’apprendre » disait Claude Bernard. C’est évidemment avec la multiplication de notre savoir et de nos connaissances, et au fur et à mesure que celles-ci font leurs preuves en étant appliquées avec succès à de multiples occasions, qu’il devient difficile d’accepter de les remettre en question. Certains, après un échec parfois cuisant, finissent par réagir et par accepter de considérer qu’il puisse y avoir d’autres manières de faire. D’autres demeurent arc-boutés sur des convictions inadaptées qui les amènent à reproduire leur échec, parfois jusqu’à ne plus pouvoir revenir en arrière.
L’Histoire foisonne d’exemples de nations ou de civilisations autrefois éclatantes et qui ont décliné, certaines avec une rapidité impressionnante, faute d’adapter leurs connaissances militaires, sociales ou économiques à de nouveaux contextes. L’armée romaine s’est ainsi montrée quasi-invulnérable pendant des siècles, quand les régions à conquérir étaient principalement constituées de plaines à découvert pour lesquelles les légions avaient développé des tactiques de combat groupé imparables. Mais lorsque Rome tenta d’étendre l’empire au-delà du Rhin, les Germains, habitués aux combats de « guerilla », comprirent vite qu’il suffisait d’attirer les Romains dans leurs forêts denses et difficiles d’accès pour rendre complètement obsolètes leurs techniques de combats ancestrales et tailler leurs armées en pièces. Plus tard, alors que Rome était contrainte de céder de plus en plus de territoires (et donc de matières premières) aux barbares afin de s’assurer la paix, c’est tout leur système économique, basé en grande partie sur ces territoires autrefois abondants, que les Romains virent s’écrouler. Leur incapacité à remettre en question et réformer un système qu’ils considéraient comme immuable a provoqué en quelques années la chute d’un empire que des siècles avaient été nécessaires à construire.
Autre exemple célèbre, celui de Galilée qui a préféré s’appuyer sur ses observations plutôt que sur les « connaissances » établies qu’elles contredisaient. Remettre en cause des idées considérées comme des vérités incontestables nécessitait du courage dans le contexte de l’époque, mais aussi la capacité de « voir plus loin » que ce vers quoi l’ensemble de la société pointe son regard. C’est en bousculant les dogmes de la connaissance que de nombreux scientifiques et philosophes ont ainsi contribué à construire notre société moderne.
Beaucoup d’artistes, de responsables militaires, de dirigeants politiques ou religieux, de chefs d’entreprises ou même d’hommes de science échouent faute de remettre en question leurs certitudes. Or on construit en grande partie en s’appuyant sur les découvertes des autres, en capitalisant sur le temps que nos prédécesseurs ont passé à tâtonner, à recommencer, et parfois… à échouer.
Reconnaitre son ignorance, au-delà de l’humilité et de l’ouverture d’esprit qu’une telle attitude démontre surtout pour une personne qui pourrait faire valoir son expérience professionnelle, les talents qu’on lui reconnait, ou simplement les longues années passées à questionner le sens de ce qui l’entoure, c’est peut-être le tout premier pas vers la Connaissance (étymologiquement « naissance avec« ) et une authentique (re)construction de soi ?
