Pour beaucoup de personnes, leur personnalité est semblable à une maison familière dans laquelle elles font tout pour ne rien modifier à l’environnement et à la disposition des pièces : elles vivent avec elles-mêmes et ces précieux repères qu’elles ne changeraient pour rien au monde par crainte d’être déstabilisées. Elles ne se remettent plus en question, convaincues de se connaître suffisamment pour oublier qu’elles puissent encore changer. Leurs repères, sensés leur apporter de la stabilité et les guider pour changer de manière construite et respectueuse de leurs valeurs, deviennent des liens rigides qui leur font considérer tout changement comme une source de risque. « Il meurt lentement celui qui devient esclave de l’habitude, refaisant tous les jours les mêmes chemins, celui qui ne change jamais de repère, ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements, ou qui ne parle jamais à un inconnu » écrivait ainsi Pablo Neruda.
Ce lent processus d’endormissement qui nous rend progressivement réfractaire au changement est connu sous le nom de « Syndrome de la grenouille »: une grenouille plongée dans un casserole d’eau tiède trouve son environnement très agréable et s’y complaît jusqu’à ce que la température de l’eau soit portée à quarante degrés ; la grenouille commence alors à être moins à l’aise mais la situation étant acceptable, elle reste dans son bain dans lequel elle a déjà ses habitudes. A quarante-cinq degrés, le pauvre animal engourdi par la chaleur devient incapable d’échapper à son environnement. Et à cinquante degrés, la grenouille est morte. En revanche, si cette même grenouille avait été plongée directement dans une eau à cinquante degrés, un bon coup de pattes énergique lui aurait permis d’échapper immédiatement à son sort funeste. En passant lentement mais régulièrement d’une situation agréable et confortable à une situation moins plaisante, notre grenouille est devenue incapable de désirer s’extraire de son cadre, alors même qu’elle en aurait été parfaitement capable si la situation avait été soudaine, autrement dit si l’habitude ne s’était installée menant à un confort fatal.
Face à notre difficulté à changer, il est souvent pratique de mettre en cause notre environnement, nos relations ou tout autre facteur extérieur – l’eau chaude de la casserole –, quand la raison profonde tient davantage à la manière dont nous nous sommes accoutumés à notre situation. Notre capacité à accepter, sans parler de rechercher, le changement s’atrophie sous l’effet de l’habitude comme un muscle que l’on ne solliciterait pas suffisamment. Nous finissons par nous convaincre que notre environnement – notre profession, nos relations, nos opinions ou encore l’endroit dans lequel nous vivons – est celui qui est fait pour nous. Il n’est peut-être pas idéal, mais le quitter alors qu’il nous est devenu si familier nécessiterait des efforts d’adaptation que l’on n’est peut-être plus disposé à entreprendre. Comme le soulignait l’économiste John Maynard Keynes, « la difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ».

Très intéressant et pertinent. Merci Alain!
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