Je croise régulièrement Marc dans les transports en commun ou au supermarché, et s’engage souvent une discussion qui, je dois l’avouer, me donne parfois envie de couper court… Non que Marc soit antipathique, il est de nature plutôt joviale, aime plaisanter et les instants passés avec lui pourraient être des plus agréables si Marc n’avait un regard particulièrement critique sur tout ce qui l’entoure: de l’incompétence des autorités – la police, les hôpitaux, les enseignants, le gouvernement – à la nonchalance des fonctionnaires « qui cherchent toujours une bonne raison d’en faire moins » ou encore « des pouvoirs publics qui dilapident notre argent » : tout le monde en prend pour son grade. Le corps médical est suspicieux, lui qui est « à la botte des laboratoires pharmaceutiques » et qui nous cache la réalité des effets secondaires de la plupart des traitements médicaux et autres vaccins… Marc garde son téléphone mobile éteint la plupart du temps et a banni le WiFi de son domicile car « les études sur les effets des ondes radios sont toutes faussées par le lobby des industriels et opérateurs ». A l’écouter, nous sommes cernés par le danger et le mensonge, pour ne pas dire le complot… Derrière ses propos cyniques et son humour souvent grinçant, Marc semble vivre dans la peur de presque tout. L’homme vit seul, reconnait avoir peu d’amis, mais ne parait pas faire le lien entre sa vision du monde et l’attrait qu’elle offre à son entourage.
Selon la manière dont nous décidons de voir le monde, nous allons privilégier la recherche de sécurité face à un monde qui « ne nous fera pas de cadeau » et dont on a besoin de se protéger, ou bien l’ambition de construire une existence riche en promesses, en acceptant une certaine prise de risque. Nous considérerons le monde de l’entreprise comme celui de l’exploitation, ou bien un environnement dans lequel nous pourrons apprendre, progresser, échanger. Nous regarderons ceux qui nous entourent avec méfiance, des personnes qui chercheront d’une manière ou d’une autre à tirer profit de nous, ou bien comme des sources d’enrichissement, des mentors ou des personnes dont nous pourrons avoir la satisfaction d’aider à progresser. Nous avons le choix de voir dans l’inconnu, dans l’avenir, une source d’inquiétude et de peur, ou bien un ensemble d’opportunités à découvrir, qui peut certes remettre en question un statu-quo confortable mais surtout nous ouvrir de nouveaux horizons.
Bien sûr, ces deux facettes sont présentes dans le monde qui nous entoure. Il ne s’agit pas de statuer sur le fait que l’univers soit bon ou mauvais, moral ou immoral, mais qu’il est une matière brute – amorale – dans laquelle chacun s’installera selon l’image qu’il a de lui. Les Américains qui observaient il y a près de deux siècles la progression de leurs concitoyens vers les terres inconnues de l’Ouest réagissaient pour certains avec admiration pour ces pionniers qui refusaient de fixer des limites à leur univers, convaincus que ce far-west allait leur offrir des occasions de bâtir librement et sans préjugés, quand d’autres voyaient dans l’Ouest américain l’incarnation du diable avec ses excès et son absence de morale. Les griefs de Marc à l’égard des institutions, ses inquiétudes quant aux conséquences sanitaires de l’utilisation de certains produits, tout n’est pas nécessairement dénué de sens et il n’est pas question de se comporter de façon naïve en considérant que notre environnement est teinté de rose et que tout danger y est absent. Mais vais-je choisir, comme Marc, d’amplifier démesurément mes craintes au point de me couper des autres et de me dessiner un avenir qui suscite si peu d’enthousiasme ?
L’un de mes films fétiches est Forrest Gump, l’histoire émouvante d’un homme simple d’esprit mais qui conserve, envers et contre tout, une vision foncièrement positive du monde et de l’avenir. Parmi les personnages du film, on découvre Jenny, l’amie d’enfance de Forrest et le grand amour de sa vie, qui ne peut oublier le souvenir d’une enfance volée par un père violent. On suit aussi le parcours du Lieutenant Dan, officier à qui Forrest sauve la vie au Vietnam mais qui rentre au pays amputé de ses deux jambes, convaincu qu’il aurait été préférable de le laisser mourir en héro sur le champ de bataille plutôt que de devenir ce symbole mutilé de l’Amérique qui perd. Jenny et le Lieutenant Dan se sont laissés happés par leurs peurs et dominés par leurs blessures – celle d’une enfance perdue pour Jenny, celle de devenir un looser inutile pour Dan – et cette situation dessine ce qu’ils vont devenir : d’un côté une femme cherchant à exorciser son passé par tous les moyens – drogues, engagements dans des groupes politiques extrêmes -, de l’autre un homme amer et agressif. Dans les deux cas, des personnages qui ne s’aiment pas, qui en veulent aux autres, à eux-mêmes, à Dieu. La manière dont ils ont répondu aux circonstances de la vie les a amené à donner une interprétation négative de l’ensemble du monde qui les entoure. Ils ont développé une vision d’un univers fondamentalement hostile, destructeur et dépourvu de sens. La vie qu’ils se dessinent est en réaction à cette hostilité : violence contre les autres et contre eux-mêmes, amertume et solitude, conviction que « je ne peux m’associer qu’avec des gens aussi paumés que moi, des individus toxiques, qui partagent ma conception désespérée du monde et qui m’entrainent encore plus bas dans mon propre désespoir ». Forrest détonne dans ce paysage avec sa représentation viscéralement positive de la vie et de chaque individu. Certes on sourit devant sa naïveté qui fait de lui une cible parfaite pour tous ceux qui cherchent à le récupérer à des fins publicitaires ou politiciennes ; on a mal pour lui en voyant ses difficultés à comprendre les réactions négatives et égoïstes des personnes envers lesquelles il a pourtant fait preuve d’une fidélité inébranlable. Mais on voit aussi à quel point il est le seul à conserver un cap, à construire une vie dotée d’un minimum de cohérence, à ne pas se laisser dévorer par le découragement et à puiser au fond de lui-même les ressources pour échapper à l’abattement. C’est grâce à cette conception d’une réalité où domine l’espoir que Forrest peut attirer les autres personnages, eux qui aspirent en profondeur à cette vision apaisée du monde afin de pouvoir se réconcilier avec eux-mêmes.
Oui Forrest Gump n’est qu’un film mettant en scène des personnages fictifs et le trait est parfois forcé pour faire ressortir le côté tragique de vies désespérées. Mais n’avons-nous pas dans nos vies des exemples de personnes à qui tout semble sourire, ou qui devant l’adversité gardent confiance en l’avenir, cette confiance qui (re)donne aux autres l’envie d’y croire pour eux-mêmes ? Et je suis convaincu que chacun peut aussi – malheureusement – citer un exemple de personne de son entourage qui semble prisonnière de ses maux, accablée par un quotidien qui ne l’inspire pas, assombrie par des déceptions passées qui l’empêche de considérer l’avenir avec espérance. Au final, « nous ne voyons pas les choses comme elles sont, nous les voyons comme nous sommes » écrivait Anais Nin.
(Extrait de mon livre « Les trois clés des bâtisseurs »)

L’importance de la représentation du monde que l’on a. Merci
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Bonjour,
J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cet article et surtout à voir le parallèle avec le beau film Forest Gump.
Comme le dit un sage dans le film En quête de sens, la joie peut s’acheter au marché du coin, le bonheur il faut aller le chercher à l’intérieur.
Bien entendu comme le souligne judicieusement Alain Orsolt, il y a des limites mais il faut reconnaître que nous sommes grandement responsables du monde dans lequel nous vivons.
Une perspective qui nous ouvre des horizons et des possibles très intéressants et qui peut changer radicalement notre Vie.
Bonne et belle journée à vous
Monsieur Perron
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Bonsoir à vous Alain, Merci beaucoup pour votre like à mon article. Le vôtre est très intéressant !
On peut parfois avoir un esprit critique, lorsque l’on a dû être endurant une grosse partie de sa vie face aux aléas de toutes sortes. On se demande, quand sera-t-on enfin tranquille, en paix ?
Dès lors, je peux comprendre que certaines personnes vivent dans une frayeur même constante. Si en plus, elles écoutent les médias et réseaux sociaux. Si l’entourage n’est pas très positif, c’est difficile de pouvoir construire une existence riche et constructive pour progresser.
Donc, je vois en mon for intérieur les choses comme je suis… Une vie agréable, faite de partages et d’amour spirituel. Mais lorsque les autres n’en veulent pas. C’est impossible ! Et je dois faire avec… Très bonne nuit à vous !
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Merci Marie-Anne pour ce commentaire. C’est en effet un échange permanent entre ce que nous envoie notre environnement et qui nous affecte, et ce que nous décidons de lui renvoyer en le transformant éventuellement, selon nos valeurs, nos espérances, nos idéaux, mais aussi nos peurs et frustrations. Ce n’est pas simple, mais se rappeler que nous ne sommes pas condamnés à être des « éponges » face à notre environnement, absorbant tout sans pouvoir le transformer, mais que nous pouvons le tailler un peu plus à notre mesure, c’est je crois une grande source d’espérance.
Excellente journée à vous.
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Merci Alain, Votre commentaire est très pertinent. Peut-être ai-je contribuer par le passé à quelques petits changements, que je ne suis pas en mesure de savoir… Les petites choses font souvent boule de neige !
Une source d’espérance comme vous le dites. Excellente journée de lundi à vous également.
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