Qu’ai-je donc à perdre en osant, et que puis-je y gagner ?

La réussite flatte notre égo et entretient l’image que nous avons de nous-mêmes et celle que nous pensons transmettre aux autres. La plupart d’entre nous avons tendance à nous définir en fonction de nos succès, ceux-ci devenant des références pour mesurer nos progrès et notre place par rapport à ceux qui nous entourent. Inversement, pour beaucoup d’individus, échouer c’est écorner cette définition qu’ils se font d’eux-mêmes, c’est faire redescendre leur égo de son piédestal: ils se regardent dans le miroir et au lieu d’observer un gagnant, ils y voient un perdant. Le regard que les autres portent sur eux n’est plus aussi admiratif ; or cette reconnaissance est un besoin clé de chaque individu. Celui qui connait l’échec risque de voir altérée non seulement l’image qu’il a de lui-même, mais aussi – et peut-être surtout – l’image qu’il pense que les autres ont de lui.

J’ai le souvenir, lorsque j’étais au lycée, d’une jeune fille particulièrement brillante, régulièrement prise en modèle par ses professeurs qui vantaient sa rigueur et son esprit travailleur. Admirée par ses camarades, parfois jalousée pour ses excellents résultats scolaires, elle avait clairement conscience d’être l’élève-star et ce statut n’était pas pour lui déplaire. On aurait pu imaginer que cette lycéenne hors-pair allait ambitionner de poursuivre ses études dans les plus grandes écoles où elle irait partager son statut d’élite avec d’autres étudiants de son calibre. Pourtant, à la surprise générale, elle décida de se lancer dans un cursus court et très accessible par rapport à ses capacités. Manque de confiance en soi ? « J’ai conscience que j’aurais pu m’attaquer à des formations beaucoup plus ambitieuses, mais la voie que j’ai choisie correspond à ce dont j’ai toujours rêvé pour ma vie », se défendait-elle à l’envie. Toutefois au détour d’une conversation, elle finit un jour par lâcher : « J’ai été la première toute ma vie, je n’ai pas envie à présent d’apparaitre comme une étudiante médiocre par rapport à d’autres élèves qui serait meilleurs que moi ». L’aveu avait au moins le mérite d’être lucide. Ce n’était ni par manque de confiance en elle qu’elle avait choisi le chemin facile, ni du fait d’un intérêt particulier pour cette voie, mais parce qu’elle refusait de prendre le risque de perdre ce qui était particulièrement précieux à ses yeux : le sentiment valorisant d’être la meilleure et l’admiration des autres qui comblait son besoin de reconnaissance. Etre dans la moyenne, ou même devenir seconde, aurait été pour elle un échec insupportable dont la perspective justifiait de changer le moins possible son environnement.

Le risque est partout. Côtoyer ses semblables, c’est risquer d’être blessé par un comportement ou une remarque, de montrer certaines facettes de notre personnalité que l’on souhaiterait garder pour soi, de se sentir jugé. Partir en vacances, c’est prendre le risque de l’accident, de tomber malade loin de chez soi, d’être victime de vol ou d’agression. Même rester chez soi n’est pas dénué de risque comme l’illustrent malheureusement les récits d’accidents domestiques… Vouloir éviter le risque à tout prix, c’est s’épuiser à anticiper des évènements improbables au lieu de placer notre confiance dans notre capacité à faire face à l’imprévu lorsqu’il se présentera. C’est vivre dans un état d’anxiété permanente en se demandant « Ai-je bien pensé à tout ? ». « Vivre prudemment, sans prendre de risques, c’est risquer de ne pas vivre » résumait ainsi l’écrivain et peintre Wladimir Wolf Gozin. John Paul DeJoria, ancien SDF et fondateur de la ligne de soins capillaires John Paul Mitchell, enfonçait le clou en affirmant : « La plupart des gens traversent la vie sur la pointe des pieds de façon à parvenir en toute sécurité jusqu’à la mort ».

La pensée d’une personne qui refuserait le contact avec ses semblables ou renoncerait à partir en vacances par peur du risque omniprésent peut faire sourire – ou plutôt susciter la compassion – car beaucoup d’entre nous ne nous reconnaissons pas dans des cas aussi extrêmes. Pour autant, ne passons-nous pas à côté d’opportunités majeures faute d’accepter de prendre certains risques mesurés ? Ne regardons-nous pas nos principaux acquis – situation professionnelle, familiale, etc. – comme des domaines devenus de véritables sanctuaires qui ne doivent souffrir aucun changement majeur ? Leslie Brown, ancien homme politique américain, a ainsi relevé dans l’un de ses discours : « La plupart des gens ne sont pas des preneurs de risques, ils ont déjà réalisé tout ce qu’ils avaient prévu d’accomplir dans leur vie : gagner de quoi subvenir à leurs besoins, élever une famille. Ils ne leur restent plus ensuite qu’à mourir ». Vision ultra-pessimiste d’une société dans laquelle chacun chercherait à rester dans la moyenne, à s’aligner sur la référence de Monsieur Tout-le-Monde et à rejeter toute autre ambition sous prétexte que derrière chaque tentative de changement se cache le risque d’échouer ? Dans « Les cinq plus grands regrets des personnes en fin de vie », Bronnie Ware, infirmière dans une unité de soins palliatifs, rapporte les confessions de ses patients à l’heure de faire le bilan d’une existence qui touche à sa fin. « J’aurais aimé avoir le courage d’exprimer mes sentiments » ou encore « J’aurais aimé avoir eu le courage de vivre la vie que je voulais vraiment » : beaucoup d’entre eux exprimaient le même type de regrets, celui d’être passé à côté de relations profondes ou même de ce que représentait pour eux leur idéal de vie, par manque de courage face à la peur d’être rejeté ou incompris.

Au final, en cherchant à se protéger des blessures que l’échec et les déceptions peuvent provoquer, ce sont peut-être des tournants majeurs dans une existence qui ne sont pas pris et dont le souvenir laissera demain un goût amer, celui d’avoir négligé des opportunités qui ne se représenteront plus. Alors, peut-être faut-il simplement estimer le risque à sa juste valeur et s’interroger : « Qu’ai-je donc à perdre, et que puis-je y gagner ? »

Publié par Alain Orsot

Découvrir nos moteurs et comprendre nos freins pour se construire. Auteur de "Reprendre sa vie en main", "En finir avec la crainte de changer", "Les trois clés des bâtisseurs"

10 commentaires sur « Qu’ai-je donc à perdre en osant, et que puis-je y gagner ? »

  1. Bonjour,
    Encore un bel article sur le sujet du risque cette fois.
    Pour ma part et simplement pour témoigner, je sais par exemple que je suis devenu fonctionnaire parce que je crois que je recherchais dans une certaine mesure une certaine sécurité dans la vie et que mes parents avaient fait le même choix.
    Parfois le conditionnement est tellement présent qu’on a une sorte de peur à faire la pas. Mais je n’en veux à personne.
    Pourtant je suis persuadé maintenant que j’ai quelques décennies de vie que sortir de sa zone de confort apporte énormément de plaisir.
    Ne pas risquer c’est rester sur soi-même et comme le rappelle Matthieu Ricard parlant des propos d’un ami:
     » Du côté du moi, ça sent le renfermé » 🙂
    Bonne et belle journée à vous
    Merci pour cet article
    Jean-François

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    1. Merci Jean-François pour ce commentaire ; s’affranchir de nos conditionnements est ardu, jusqu’au moment où ceux-ci deviennent de tels freins que les dépasser devient presqu’un besoin vital… Un lien avec notre recherche du Bonheur ? 🙂

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    1. Merci pour votre commentaire 😉
      Oui la fameuse expression « quitter sa zone de confort » ne doit pas devenir un dogme culpabilisateur. Les exemples rapportés par cette infirmière en soins palliatifs vont selon moi beaucoup plus loin qu’une question de « zone de confiance »; on hésite par exemple parfois à exprimer son affection ou à saisir une opportunité sans réaliser que ce sont peut-être des occasions uniques… On pense « avoir le temps », et puis le train passe…
      Bref, « oser » c’est peut-être faire le pari que l’on investit pour notre bonheur futur… ? :-). Pour ma part, je préfère cette manière de considérer le fait d’oser au concept de « sortir de sa zone de confort » que je trouve un peu abstrait. Une affaire d’opinion 🙂

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  2. Bonjour Alain. J’aime bien votre style de rédaction. Pensez-vous que la jeune fille première de sa classe toute sa vie n’a pas poursuivi ses études également du fait qu’elle n’a jamais appris à cravacher ou à devoir fournir davantage d’efforts ? Je me reconnais dans ce profil. C’est la raison (d’origine égocentrique) qui me pousse donc à réagir ici 😉 veuillez recevoir par avance mes remerciements pour votre réponse à venir.

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  3. Merci pour votre commentaire. Je pense pour ma part qu’il arrive nécessairement un moment – lorsque l’effort ou l’obstacle nous semble particulièrement difficile à surmonter – où la question de notre motivation profonde surgit. Un peu comme le marathonien qui, au bout de 30 km, se demande « qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi tous ces efforts et quel en sera la récompense? »
    Cette jeune fille avait déjà eu sa récompense, celle d’être reconnue, valorisée et d’une certaine façon admirée. C’était – il me semble et sans aucunement la juger – une grande partie de son moteur; alors pourquoi aurait-elle tentée davantage d’efforts pour ne pas avoir plus ?

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